Un coup de fil, une guitare, quelques accords hésitants. À l’autre bout de la ligne, Dominique Quilichini, compagne de Renaud à l’époque et mère de sa fille Lolita. Ce soir-là, dans un studio parisien, le chanteur ne se doute pas qu’il est sur le point de voir naître une chanson qui bouleversera sa carrière, mais aussi qu’il frôle la rupture amoureuse. Dominique l’écoute, exige qu’il enregistre ce morceau inédit, et lâche une phrase qui résonne encore quarante ans plus tard : « Si tu ne le graves pas, je divorce. »
L’ultimatum aurait pu sonner la fin d’un couple. Il a donné naissance à Mistral gagnant, devenu l’un des titres les plus intimes et universels de la chanson française. Nous sommes en 1985, et Renaud offre au monde une berceuse tendre, écrite pour Lolita, qui traverse le temps sans jamais perdre de sa fragilité. Ce n’est pas seulement un tube : c’est une déclaration, une photographie d’un père conscient que l’enfance file à toute vitesse, et qu’il faut savoir en retenir les instants.
Quarante ans plus tard, l’histoire refait surface à travers les confidences du journaliste Erwan L’Éléouet, venu sur le plateau de C à vous pour accompagner la promotion d’un ouvrage inédit. Avec Lolita Séchan, devenue la manageuse et la protectrice de son père, il signe Renaud : Le livre, plongée dans les coulisses d’une vie publique, mais aussi dans les failles d’un artiste qui a toujours oscillé entre poésie brute et chaos intime.
Le récit du Mistral gagnant ressurgit comme un moment de bascule. On imagine ce Renaud fragile, presque contraint par une menace conjugale, transformant cette pression en une œuvre d’une sincérité rare. Ironie du destin : sans cet ultimatum, peut-être n’aurait-on jamais entendu ce titre qui, des décennies plus tard, continue de faire pleurer les générations. Louane, l’une de ses héritières musicales, n’a pas pu retenir ses larmes en l’interprétant, preuve que cette chanson garde un pouvoir intact.
Au-delà du mythe, le souvenir rappelle aussi ce qui fait la singularité de Renaud : un artiste qui écrit souvent au bord du gouffre, poussé par ses proches autant que par ses démons. Les anecdotes autour de sa carrière montrent que derrière les refrains repris en chœur, il y a un homme constamment menacé – par ses excès, par ses relations, par ses silences. Ce soir-là, il fut menacé d’un divorce. Mais ce soir-là aussi, il a écrit l’histoire.
