Dans la cour de Matignon, le bruit sec des portières a résonné comme un signal de fin. Ce lundi matin, Sébastien Lecornu a quitté les lieux sans un regard en arrière, après avoir présenté sa démission au président Emmanuel Macron. En à peine quelques heures, la France a perdu son Premier ministre, et le pays, déjà fracturé, se retrouve suspendu à une série d’hypothèses qui vont bien au-delà d’un simple changement de chef de gouvernement.
Les mots de Lecornu, sobres mais lourds de sens — « On ne peut pas être Premier ministre lorsque les conditions ne sont pas réunies » — traduisent une impasse politique devenue intenable. Derrière la formule, c’est tout un système qui s’essouffle : un président affaibli, un Parlement éclaté, et une opinion publique lassée des crises à répétition. À l’Élysée, les regards se tournent désormais vers la prochaine carte à jouer, mais aucune ne semble gagnante.
L’option la plus attendue, celle du remplacement rapide, est aussi la plus périlleuse. Trouver une personnalité capable de diriger un gouvernement sans majorité stable relève du casse-tête institutionnel. L’idée d’un « profil de consensus » circule dans les couloirs, mais les prétendants se font rares. Les noms se chuchotent — ministres expérimentés, technocrates discrets, voire anciens Premiers ministres — mais aucun ne semble pouvoir s’imposer sans provoquer une nouvelle fracture politique.
La dissolution, elle, flotte dans l’air comme un mot interdit. Emmanuel Macron y a déjà eu recours en 2024, avec les résultats que l’on sait : un Parlement encore plus morcelé, un gouvernement impossible à bâtir. Rééditer le geste aujourd’hui pourrait ressembler à un aveu d’impuissance, voire à une fuite en avant. Pourtant, certains conseillers présidentiels estiment que c’est la seule voie pour « clarifier le paysage politique ». Les partis d’opposition, eux, s’y préparent déjà, flairant la possibilité d’un basculement historique.
Reste l’arme ultime, l’article 16 de la Constitution. Jamais employé depuis de Gaulle, ce texte confère des pouvoirs exceptionnels au président en cas de menace grave pour la République. L’évoquer suffit à faire frissonner la classe politique. « Macron pourrait s’y résoudre si la paralysie devenait totale », confie un proche du pouvoir, avant d’ajouter : « Mais ce serait un coup de tonnerre démocratique. » Une telle décision, même temporaire, risquerait de déclencher une tempête politique et d’alimenter les discours sur un exécutif autoritaire.
Dans l’ombre de ces scénarios institutionnels, une autre hypothèse persiste, celle que personne n’ose formuler ouvertement : la démission du chef de l’État lui-même. Emmanuel Macron, dont le mandat court jusqu’en 2027, s’y est toujours refusé. Mais les appels à son départ se multiplient, venus aussi bien des bancs de l’opposition que d’anciens alliés déçus. Certains élus évoquent même la possibilité d’une destitution, procédure rarissime encadrée par l’article 68, jamais utilisée sous la Ve République.
Pour l’heure, l’Élysée garde le silence. Autour du président, le mot d’ordre est la « stabilité », comme un mantra face au tumulte. Mais dans les couloirs du pouvoir, personne ne croit plus à l’immobilisme. « Le système craque, c’est une question de jours », souffle un conseiller ministériel.
À Paris, les rumeurs vont plus vite que les démentis. Les chaînes d’information tournent en boucle, les partis s’organisent, et le pays, une fois de plus, regarde sa classe politique se débattre dans une tempête qu’elle a elle-même provoquée. Lecornu, en partant, a simplement acté ce que beaucoup pressentaient : la fin d’un équilibre déjà rompu.
Dans cette crise à la française, tout reste possible — sauf le retour à la normalité.
